Serions-nous en train de vivre l’âge d’or de l’Ambient Techno ? La question se pose puisqu’après la sortie du démentiel Kinematic Optics EP de Polar Inertia, c’est au tour d’un autre surdoué du genre de sortir un long format, le prolifique Acronym. Depuis novembre 2012, date de sa première sortie, Dimensional Exploration 001, nous attendons chacune de ses sorties avec une avidité digne de l’oiseau de proie. Nous vous avions d’ailleurs déjà parlé du jeune homme, à l’occasion de la sortie de son EP Nautilus sur Northern Electronics, le sérénissime. Bon, on ne vous fera pas l’affront de réitérer les présentations ; si vous lisez nos chroniques Techno avec un tant soi peu d’assiduité, la structure stockholmoise n’a plus de secrets pour vous – au même titre que notre addiction à ses travaux. Soutenu par un vivier de producteurs parmi les plus doués de leur génération, c’est avec intelligence et perspicacité qu’Abdulla Rashim manœuvre l’escadron insulaire. Que les amateurs de plot twists s’en retournent à leur collection de livres dont ils sont le héros car l’heure de la déconvenue n’a pas encore sonné, bien au contraire.
Après avoir enchainé les deux tueries Yggdrasil sur Semantica, et Mu, long format Ambient sorti sur cassette, l’énigmatique producteur suédois poursuit son exploration du long format, avec la sortie d’un double LP du nom de June. Conteur de passionnantes escapades Techno, narrations vespérales aux ambiances sylvestres, Acronym a choisi June, non pas comme terrain d’expérimentation, mais comme support de choix pour une synthèse de ses récents travaux.
Synthétique et fluide, deux adjectifs qui siéent particulièrement bien le contenu de l’album. Tout d’abord, synthétique car l’album laisse se succéder et s’enchevêtrer de suaves anaphores Ambient et périples Ambient Techno chatoyants, comme une synthèse de l’évolution des récentes sorties du producteur – notamment celles citées dans le paragraphe précédent. Dans un second temps, fluide car l’écoute, ou plutôt expérience du LP se vit comme une douce errance, effusion de songes tubulaires, succession de paysages aux pourtours indistincts et brumeux. L’auditeur est ici pris pour médium d’une projection mentale formidablement picturale, retranscription attentive d’un univers onirique luxuriant. La première partie du LP est principalement consacrée à l’étude et à la description minutieuse de cet univers grâce à une phase introductive beatless dont le flux s’étend de la captivante Isolated From The Land, jusqu’aux chutes et remous tribaux de Humid Zone. Entre temps, citons tout de même l’incroyable In The Swamp, marche sur la canopée rythmée par l’itération d’une pulsation Acid ravageuse. 20 minutes se sont écoulées dans un intervalle qui, semble-t-il, n’a pas excédé le temps d’un battement de cil. La notion de temps est ici soumise à d’importantes distorsions, preuve de la qualité de ce prélude à l’après-midi d’un faune.
La seconde partie du diptyque, ouverte par l’Ambient Techno ruisselante de Centering, introduit le pendant rythmique de l’œuvre et sonne l’arrivée fracassante du kick. C’est ici que tout le génie d’Acronym, déjà sensible dans la première partie, prend toute son ampleur : quand il parvient à conjuguer l’impressionnisme fourmillant de détails de ses soundscapes à la puissance du battement Techno, sans qu’aucun élément ne vienne entraver la pleine éclosion des autres, leur épanouissement sonore. C’est d’ailleurs à cela que l’on reconnait sa patte : une Ambient Techno aérienne, puissante et équilibrée. Vous doutez encore ? Prenez donc un instant pour savourer l’envolée de Realisation, imposante bourrasque de feu-follets toute en rondeurs et scintillements, ou encore la conclusion, Letting Go Of It All, concerto pour synths rétro, track gratte-ciel furieusement inspirée.
D’ailleurs, d’inspiration, Acronym ne semble jamais en manquer lorsqu’il s’agit de façonner textures, matières et mélopées, lorsqu’il s’agit de les chauffer, distordre ou plier à sa convenance. Cette impression perdure sur l’ensemble de l’album sur lequel aucune fausse note n’est à déplorer. Un album tour à tour progressif, aqueux, sylvestre mais toujours aéré, toujours précis. Gageons d’ailleurs que les talents de ce cher Neel en matière de mastering ont leur rôle à jouer dans cette affaire. A ce sujet, il est intéressant de relever, tant sur le fond – sonorités proposées – que sur la forme – structure de l’album –, les nombreux points de comparaison qui existent entre June et l’album éponyme de Voices From The Lake, oeuvre majeure sortie 3 ans plus tôt. A l’image de son prédécesseur, June est un bien plus qu’un simple album. Il s’agit avant tout d’une expérience immersive à écouter d’une traite, les yeux mi-clos, entre éveil et sommeil, entre réalité et sublime.