Mentionné avec les honneurs qui lui sont dus dans les lignes de feu Chroniques Electroniques, le grec Abstractive Noise (Panagiotis Pagonis) avait disparu de nos radars après la mise en sommeil regrettable de son label Impulsive Art. Si l’album Sound Of Rebirth de Pleq et l’excellente compilation Thesis Vol. 1 se rappellent à votre bon souvenir, vous pouvez sans doute émettre des regrets similaires. Toujours est-il qu’il vient de ré-apparaître dans un silence peu relatif, dans une volonté probable d’assoir un peu plus la notion d' »invisibilité » de son nouveau label : Abstractive Records. Premier d’une série de trois albums annoncés, of the Adder’s Bite mérite déjà de faire causer.
On parlait il y a peu de ces fusions, déjà bien présentes et à venir, entre les sphères électroniques et celles du renouveau classique. L’album d’un autre grec, Stavros Gasparatos, peut servir d’exemple particulièrement édifiant. Même si très différent dans les ambiances et dans le procédé de composition, of the Adder’s Bite poursuit cette démarche avec humilité, certes, mais brio. Exposer les ficelles, lever le rideau et les secrets du spectacle vivant s’apparente parfois à un crime de taille. Révéler qu’ici, aucune des cordes ne sont naturelles mais bien toutes issues d’une « software library », ne doit pas décourager les auditeurs potentiels. Parce que ça sonne, et c’est si soigné que les textures de ces dernières sont extrêmement troublantes dans leur résonance. Si on ajoute à cela, en plus, un choix extrêmement varié et intelligent des batteries, avec tout juste ce qu’il faut d’amplification dessus pour les rendre aussi massives, on ne peut que saluer la pugnacité et la maîtrise de son auteur. Alors oui, si les bandes originales de films imaginaires aux esthétiques un peu « goth » ne vous inspirent que tasse de lithium et autres sombres dentelles craquelées, vous pouvez déjà vous éloigner. Mais vous en seriez bien mal avisés. Ouvrez le player bandcamp, annuler le volume de la vidéo ici proposée. Vous aurez le droit de m’en vouloir, mais pas avant d’avoir essayé.
Un artwork magnifique d’Anja Millen, l’album sera sombre et tortueux ou ne sera pas. Une ôde au mélange, au-delà d’un bestiaire cauchemardesque et du romantisme fiévreux, qui exprime magnifiquement le théâtre d’une lutte. Et ses éclats, qu’elle disperse en poussière, comme un mouchetis cendré sur une toile du Caravage. Le mamelon capricieux mais érectile d’une Cléopatre perdue dans un temps suspendu à ses courbes, un reptile blessé, hésitant mais courageux dans sa morsure. Les corps inhalent les derniers fragments de ce qu’ils furent, l’hydre nait. La machine et son myocarde s’emballent, se calquent sur les sursauts des batteries et des percussions. Les crins comme les peaux gagnent en plainte et en dévotion, le piège se referme. Sur des contextes à abattre et sur de nombreux murs de lamentation. Trois blocs chapitres sérieux, qui illustrent parfaitement les péripéties, les éléments perturbateurs de narration, mais qui ne peuvent annuler l’évidence de la collision.
Oeuvre sombre, radicale et pénétrante, of the Adder’s Bite pourrait pourtant n’être qu’une esquisse avant l’avènement. Attention gros talent. Gageons que le temps qui reste ne nous fera pas mentir, le meilleur reste à venir.