« La colonisation a exporté les idées des Lumières, celles qui rendent désirables et nécessaires l’accès à la culture, le respect des droits fondamentaux, de la vie privée et l’instauration d’une démocratie représentative. Elle a donné à des arabes, des africains, des indochinois, le goût de la démocratie et de la culture. Elle leur fait entrevoir une autre forme de vie plus douce, plus désirable peut-être. »
(Punchlines « so charlie » de Philippe Val, directeur de la rédaction de Charlie Hebdo entre 1992 et 2009.)
Eldorado, la liberté c’était qu’un joli rêve
J’dis pas qu’c’est d’sa faute mais malgré tout faut qu’elle assume
Qu’elle rassure les p’tits d’ici, ceux qui s’dissipent avec la fume’
Eldorado, mais une fois les pieds sur terre ils savent
Eldorado, y’en a qui tentent le train d’atterrissage
Pays d’mon enfance avec le Diable, ils pactisent
Bienvenue en France : Terre d’asile psychiatrique(Hugo TSR – Eldorado)
A la base collectif de graffeurs, toujours implanté au nord de Paris (18ème), le TSR CREW s’est initié au rap à l’orée des années 2000. Leur album précédent, A quoi ça rime ?, date quand même de 2007. Entre temps, Hugo, son membre le plus éminent et le plus exposé, a sorti trois albums dont un directement inscrit comme un classique absolu du genre : Fenêtre sur rue, en 2012. Sans jamais se poser en leader, il revient accompagné de ses deux comparses, Omry et Vin7, en publiant sur Chambre Froide un album que leurs fans ne s’étaient presque pas lassés d’attendre.
Certains reprocheront au TSR CREW de ne pas être sortis de leur zone d’inconfort, d’autres les respecteront éternellement juste pour ça. Ainsi, pratiquement rien n’a changé, du flow aux thématiques en passant par les comparaisons à outrance et les productions, qui même si elles s’inscrivent dans une certaine modernité, n’ont pas renoncé à cet art du sample (films cultes ou instrumentations classiques) qui a fait dans les années 90 du rap français un genre AOC à part entière. Comment pourrait-on alors reprocher aux TSR de tourner en rond alors qu’ils sont restés sur place, là où leur inspiration urbaine ne pourrait se tarir, puisque l’état d’urgence est désormais admis aux soins palliatifs ?
Souvent nihilistes, jamais misérabilistes, avec l’alcool et le shit pour substances faussement anesthésiques, ils incarnent l’indépendance dans ce qu’elle a de plus pure (disque intégralement écoutable sur youtube le jour de la sortie, concerts dépassant très rarement les 10 boules, absence totale de featurings prostitutionnels) et se situent à des années lumière de tous ces rapeurs pédophiles, de ceux qui ont prétendu s’être nourris au sein de la rue en oubliant qui étaient leurs pairs. Il n’est donc que peu surprenant de les voir s’acoquiner avec d’autres vaillants de l’indé, tu auras reconnu les gouffriers. Le rap du TSR demeure donc à destination de vandales déterminées même en terrains minés, et à tous les sauvageons dont la maîtresse la plus fidèle demeure l’huile du pilon.
On ne pourra s’empêcher de constater qu’Hugo a atteint un tel niveau, qu’il laisse toute concurrence potentielle derrière les nuages de fumées qui ne le contiennent pas. Certains diront, que même si les légères carences techniques et les rimes plus « easy » de Vin7 s’estompent peu à peu, et même si Omry se révèle à plusieurs reprises comme un kicker de prods impressionnant (surtout son solo lors de la première partie de Sans Sommation, et ses couplets de ouf sur J’prends de l’âge et Mongolfière), les phases et les punchlines d’Hugo restent donc inaccessibles en comparaison.
Là je gueule, car mes travers s’épaississent. Je suis un aveugle qui veut traverser le périph’. Poison dans la vessie mais y laisser ma vie j’hésite, on est tous compressés, la cage d’escal’ devient un fichier .zip.
J’ai beau aimer la vie, regarde mes bronches c’est un crime passionnel. Vu ce que j’inhale difficile de trouver sa branche quand tu trouves pas le sommeil.
Et comble de la surprise, il va jusqu’à délaisser ses habituelles litanies nihilistes pour un morceau presque conscient et résolument touchant : un véritable « Hymne du petit charbonneur », rappelant à ceux qui en doutaient encore que les petites mains de l’économie parallèle ne mènent pas la vie de rêve, et que ce n’est pas pour changer des ampoules qu’ils montent parfois sur des tabourets.
Imagine adolescent, ton accent de rue crée des remparts. T’écouterais qui ? Tes renpas ou les clients que tu vois en bas ? Prêt à vendre ou à prendre n’importe quel mélange qui défonce. On voit la violence qui témon, Ici aucun coupable ne se dénonce. Des enfants déchus, ici y a ni anges ni démons.
Dur de sortir de ça indemne, même quand on sait pourtant que ce site rassemble une somme impressionnante de lecteurs snobant le rap français, peut-être parce que pour une fois ils n’ont pas l’excuse de ne pas le comprendre.
Les autres trouveront peut-être je l’espère de quoi jubiler, vers Seum Drogues Millionnaires, Le silence se fait ou Mes frères. Qui sait ? Peut-être ne suis je pas le seul vieux con encore foufou issu de la génération shit et grec-frites. Toujours est-il que les gars du TSR continuent de représenter une des franges la plus créative du rap français, et inscrivent une nouvelle carte postale du 18ème à ceux qui voudront bien avec eux en arpenter les rues. A bon entendeur, salut.